Prendre soin de soi

« Prends soin de toi. »
Tantôt lancé négligemment à la fin d’une conversation avec une amie, un grand-père, sa sœur, parfois même d’un·e employeur·euse à son employé·e.
Tantôt édicté à une personne triste pour que, quand même, elle se prenne un peu en main, la vie continue.
Tantôt prononcé du bout des lèvres, dans un souffle compatissant, à une personne malade dont on n’a pas tellement confiance qu’elle saura faire ce qui est bon pour elle. Mais on essaie d’y croire.
Tantôt rappelé à une personne joyeuse, pour qu’elle continue à être joyeuse. Parce qu’on aime bien être entouré·e de gens joyeux.
(…)

« Prends soin de toi. »
Quatre mots, simples. Mais incompréhensibles.
Quand j’étais au plus bas, fin 2018, ça faisait comme une mélodie disharmonieuse qui jouait en continu sous mon crâne. On me le disait – on me l’a toujours dit (tout le monde le dit toujours), mais cette fois je l’entendais – et je sentais que c’était important, que là était ma porte de sortie, mon salut. Mais je ne comprenais pas. Je ne comprenais sincèrement pas ce que signifiaient ces quatre mots.

Ça sonne comme un ordre, une injonction. C’est impératif. On te le dit, tu l’appliques. C’est pour ton bien. Enrobés de (parfois fausse) bienveillance et de toutes les intentions personnelles que les gens qui les prononcent mettent dans ces mots. Chacun·e son idée, chacun·e sa définition. Hop ! On te refourgue le paquet. On t’a donné le conseil, la direction, maintenant, à toi de jouer ! Tu as toutes les cartes en main, fais preuve d’un peu de bonne volonté. … où est le mode d’emploi ?

« Prends soin de toi. » appartient à la grande catégorie des injonctions que l’on ne peut comprendre qu’une fois qu’on les vit, déclenchant le fameux « Ah ! C’est donc ça qu’on entend par là ! ». Ça n’indique rien sur comment y parvenir. C’est une intimation vague, floue, qui met une pression folle parce qu’on l’entend partout, tout le temps, et qu’on a l’impression que tout le monde autour de nous la comprend et l’applique. Sauf nous. Alors on cherche avidement. Tourné·e vers l’extérieur, on observe les autres, ce qui semble les rendre heureux·ses et on essaie, on teste. Une copine a l’air sereine parce qu’elle s’est peint les ongles, alors on se peint les ongles. Mais ça ne marche pas. Le vide est toujours là. Le manque de sens aussi.



J’aime beaucoup quand mon amie Viviane me dit parfois « Prends soin de toi, ce n’est pas un ordre, c’est une invitation ». Elle donne une partie de la notice. Effectivement, ça invite. Ça sonne plus doux et plus en rapport avec soi. Avec cette formulation, on commence à appréhender que prendre soin de soi, ça vient de l’intérieur. Ça n’a rien à voir avec prendre un bain, allumer des bougies, faire du sport ou s’épiler les sourcils. Prendre soin de soi, c’est se demander comment on va, là, maintenant. « Comment tu vas ? Comment tu te sens ? Dans ton corps, dans ton cœur ? ». C’est avoir pour intention première de choisir la douceur pour soi. C’est s’écouter, à l’intérieur ; toutes ces parts qui se manifestent. Sentir au fond ce qui nous apporterait joie et détente, et choisir cette voie. Concrètement.

Ce serait trop dur à vivre et trop violent pour moi de cesser de m’épiler les aisselles ? Alors je continue de les épiler. Quand bien même je suis féministe – je suis attirée par cette liberté – je trouve ça beau sur les autres – une part de moi se sent nulle de ne pas parvenir à avoir cette audace – à m’affranchir du regard des autres… ok. Mais, actuellement, c’est trop difficile pour moi ? Alors je choisis la voie de la douceur. Je choisis pour le moment de m’épiler les aisselles. Et un jour, j’arriverai à ne pas le faire, et ce sera doux. C’est ça, prendre soin de soi : préférer la douceur à la violence. Choisir d’être tendre avec soi, comme dans un cocon.

Je n’aime pas l’expression « prendre soin de soi ». Je préfère « se cocooner ».