Où est passée la joie ?

[À lire en écoutant Ta Douleur de Camille]

Salut !

Comment ça va ? Ici, bof.
Il y a la fatigue et le mal de crâne, l’énergie qui peine à remonter malgré le soleil qui inonde mon salon. Il y a Macron, Darmanin, Blanquer. Si seulement il n’y avait qu’eux… Et puis il y a l’Ukraine et toutes les autres guerres. Il y a les ukrainien·nes et toutes les autres personnes en détresse. Il y a les russes et toutes les autres personnes honteuses et démunies. Et désolées. Il y a le capitalisme, le patriarcat, le racisme, l’état, la police, les prisons. Il y a la gorge qui se serre, les larmes qui montent. Il y a l’impression de parler à des murs, de pédaler dans le vide, de se battre contre des moulins à vent. Il y l’impuissance. Et le désespoir.

Assaillie de milliers de pensées à propos de ce que je voudrais faire, ce que je devrais faire, ce que je pense que je devrais vouloir faire puisque je pourrais le faire alors autant le faire pourquoi ne le fais-je pas ?
Ça fait sonner la tête, ça fait tonner le cœur. Ça paralyse.

Alors il y a deux possibilités.
Soit on est paralysé·e pour de vrai. Du genre à ne pas pouvoir bouger, se lever, faire, ni même réfléchir.
Soit on a un tout petit degré de liberté et on parvient à en faire quelque chose. Peut-être.

Dimanche, hier en fait, j’étais paralysée pour de vrai. À 13h, je suis retournée sous ma couette, j’ai regardé le ciel bleu, j’ai regardé mon téléphone, j’ai regardé le vide. Que voulez-vous faire dans ces moments-là… Il n’y a rien à faire. Réalistement je veux dire, compte tenu de mon incapacité à faire quoique ce soit. Je peux très bien me et vous mentir en disant qu’il suffirait alors de sortir profiter du soleil, de lire un bouquin ou d’appeler un·e ami·e. Faire quelque chose d’intelligent en somme. Prendre soin de soi finalement.

Oui mais non. Il n’y a rien à faire, puisque je ne peux rien faire. Je n’ai même pas à m’inviter à respecter cela, à me dire que bon je peux bien m’accorder une heure ou une journée au fond de mes draps, je n’ai même pas à m’autoriser à rester allongée puisque de toute façon, c’est un fait, je ne peux pas bouger. Par contre je peux cesser de m’en vouloir de ne pas parvenir à me lever de ce foutu lit. Ce serait, d’ailleurs, la seule chose raisonnable à faire.

Parfois, et parfois seulement, je décèle un tout petit espace en moi, une minuscule lueur, si faible qu’elle peut s’éteindre si je m’y accroche. Et souvent elle s’éteint. J’avais cru que l’énergie revenait, que j’allais finalement pouvoir faire quelque chose de cette journée, mais peu après mon corps se ramollit et se dirige tout seul vers la station horizontale à l’endroit parfait pour ça : mon lit. Tant pis.

Si l’espace ne se referme pas, que la lueur ne disparaît pas, ou pas tout de suite, alors je peux tenter de me demander ce qui me ferait du bien. Je vois bien que ça va pas, que les nouvelles te démoralisent, que la lenteur des changements t’impatiente, que l’hypocrisie et l’omnipotence t’enragent. De quoi as-tu besoin ?

De soutien, déjà. Alors quand mon amoureux est rentré, on est allé se balader et on a parlé. Je lui ai raconté, il m’a écoutée. C’est précieux.

De puissance, aussi. Chez moi, le désespoir naît lorsque je me sens démunie, impuissante. J’ai besoin de retrouver mon pouvoir d’action.
En ce moment, ce qui m’en coupe, c’est la dispersion. Et tout ça, ces pensées qui s’agitent et s’alimentent de ce monde pas très drôle, ça me disperse. Je suis attirée par ceci, je veux faire cela, ça aussi ça a l’air génial, et ici c’est sûr je pourrais faire quelque chose, et pour ça je peux aussi aider… ça vrombit, ça me décentre, ça me désaxe… et ça me paralyse.
Pourtant, je m’implique déjà dans plusieurs projets qui me nourrissent beaucoup ! Mais ma tête et ses petites disciples les pensées m’en éloignent et font voler en éclat ma discipline et ma concentration.
Alors, en parlant avec mon amoureux, j’ai décidé d’écrire noir sur blanc et d’afficher à côté de mon bureau mes projets actuels, dans lesquels je suis engagée, que j’ai choisis, que j’aime et qui m’épanouissent. Et si les morales, les doutes, les pensées m’envahissent à nouveau, me menaçant de paralysie, je regarde ma petite feuille. J’ai déjà plein de choses à faire tout près, là dans ma vie ! Je reviens. Focus.

Parfois je me lève d’un bond de mon lit. Parfois je dois prendre le temps, pour faire partir les fourmis de mon corps. Je bouge d’abord les doigts, les paupières, le cou, les orteils, les jambes et je peux me redresser. Reprendre mouvement. Retourner dans la vie.

Écrire cette lettre, par exemple.

Elle est là, ma joie. Me mouvoir. Être ici, présente, centrée. Faire ce que j’aime, et m’y sentir puissante. Le corps et les pensées légères. Le cœur joyeux.
Si je peux.

Donc en fait, si, ça va plutôt.

Au mois prochain !

Alexe