Ode

[À lire en écoutant Mutate de Jeanne Added]

Bon matin, bonjour, bonsoir,

J’espère que cette lettre vous trouve en forme. Autant que possible dans cette lourdeur ambiante (je parle de l’abolition du droit à l’IVG aux USA, des guerres, des viols, de la canicule en plein mois de juin et autres catastrophes en tout genre). Non c’est pas facile.

J’ai envie de parler de la poésie qui sauve, du vent dans les feuilles, de la respiration qui ravive, d’aller marcher dans la montagne, de méditer, de bien manger, de s’efforcer de distinguer la beauté dans le laid.

J’ai surtout envie de parler des autres. Des bras qui enlacent, des sourires de connivence, des corps qui marchent de concert, du soutien à distance aussi, des messages, des appels. De la chaleur de ne pas se sentir seul·e. De ne plus se sentir seul·e.

J’ai envie de parler des gens, d’elles et d’eux. De vous.
Comme une ode au collectif. À ce refus catégorique du statu quo. À cet élan commun à vouloir faire bouger les choses. À ne pas croire que tout ceci est inévitable, que le monde est merdique et le restera pour toujours, il faut s’y habituer, se rendre à l’évidence et si possible s’y trouver une place pas trop mal, un peu chaude un peu douillette, s’en contenter, en profiter et mourir. C’est non.

C’est avec ces autres, ces gens, je le crois, que l’on peut essayer d’imaginer et de créer, de tisser des toiles, de les relier ensemble, souples et solides.
Toute seule au fond de mon lit recroquevillée je désespère de l’état de la planète toute entière.
Avec les gens tout s’allège. Et surtout, avec elles et eux, j’agis. On agit. On fait on bouge on avance on crée on s’organise. Le soutien que ça procure ! L’énergie que ça transmet !

Ce n’est pas vrai que l’on est seul·e à ressentir ce qu’on ressent, à vivre ce qu’on vit. Il n’y a pas que nous qui voyons les choses comme ça. On n’est pas anormal·e, on n’est pas bizarre ou inadapté·e, on ne vient pas d’une autre planète. On est juste séparé·e de ces autres, de ces gens, qui ressentent et voient les choses comme nous. Ou à peu près.
Iels ne sont pas loin. Il ne faut pas s’inquiéter. On a juste à faire ce qu’on aime, ce qu’on sent au fond de nous. On a juste à faire quelques pas dans cette direction qui nous semble la plus belle, celle qui nous fait sentir de la détente et de la joie dans notre corps. Ouvrir cette porte, aller à cette réunion, contacter cette association. Et les rencontrer, ces gens avec qui on peut se relier.

Avec ces gens, je me permets de rêver, parce qu’on a les mêmes rêves. Je me permets d’y croire. D’avoir de l’espoir. Ensemble on réfléchit à comment faire pour réaliser nos idéaux. Ça devient vite indissociable du reste de mes activités. Il n’y a bientôt plus « ma vie normale » vs « les choses que je fais pour essayer de changer le monde ». Il y a seulement « ma vie ».

Ce qui me nourrit énormément, dans « ma vie », ce sont ces petites briques que je dispose avec ces gens. Les jolies prémisses de notre monde idéal. Les pièces d’un puzzle qui devient au fur et à mesure si cohérent.
On teste on se plante on rit on s’engueule. Mais on ne perd jamais de vue notre utopie de justice, d’équité, de liberté, d’horizontalité, de considération de chacun·e. On a toujours en tête à quoi on a envie d’arriver – qu’on ne verra probablement pas de notre vivant – et on procède à chaque seconde pour incarner ce résultat dans le présent, dès maintenant. On n’a pas de chef qui nous explique les bienfaits d’un fonctionnement horizontal et équitable, ce serait incongru n’est-ce pas ?

Je rêve d’un monde d’harmonie entre les gens, entre tous les êtres vivants. Pendant longtemps, j’ai rêvé dans mon coin, terrorisée des autres, paniquée des relations sociales. Je croyais que la seule loi était celle du plus fort. Qu’il fallait crier pour se faire entendre, sinon on se faisait piétiner. Je ne savais pas crier.
Et puis j’ai compris, très récemment, que je ne m’étais pas tournée vers les bons autres. J’ai rencontré de nouvelles gens. Des personnes avec lesquelles pas besoin de crier pour qu’on me voit, qu’on me comprenne et qu’on prenne soin de moi. Et réciproquement. Cette harmonie n’est plus ce lointain idéal inatteignable. Je la vis au quotidien. Je danse avec ces gens.

Je pense que seul·e, on peut vivre pas trop mal dans une société pourrie jusqu’à la moelle.
Je pense que lié·e à des autres qui ont les mêmes rêves que nous, on a la force de repousser les bords du cadre qui nous oppresse.

C’est quoi, votre monde rêvé ? C’est qui, vos autres avec qui le réaliser ?     

Le monde est laid, mais quelle joie d’y scruter le beau à plusieurs ! D’y créer même la beauté !

Belle entrée dans l’été,

Alexe