Le temps file

[À lire en écoutant Haydar Haydar de Derya Yıldırım & Grup Şimşek]

Bonjour,

Le temps file. Vous vous en sortez, vous ?

Comment on fait, quand on a mille idées, mille envies, et seulement 24 heures par jour ?
J’avais commencé mon texte en parlant de travail, de rythme quotidien imposé par des motivations exogènes, de cadre et d’autodiscipline. Mais je suis trop fatiguée pour synthétiser correctement ma pensée. Il faut que je réfléchisse plus longuement, que j’ordonne mieux. J’en écrirai un article.

Ce de quoi je souhaitais vous parler, au fond, c’est de temps. Et de la distance qui existe entre ce qu’on aimerait faire et ce qu’on peut réellement faire, par limite de temps. Chez moi, cette distance est grande. Parfois immense. Si vertigineuse qu’elle peut me paralyser, j’en ai parlé dans ma lettre du mois dernier.

La première raison est que je suis intéressée par tant et tant de choses sur Terre. Si 24 heures ne suffisent pas dans ma journée pour réaliser ce que je veux réaliser, c’est que j’ai beaucoup, beaucoup, beaucoup d’envies pour cette journée. Moi, dans ma vie, je veux tout faire – ou presque. Tout savoir – ou presque. Je suis curieuse, formidable me direz-vous. Curiosité insatiable. Et épuisante. J’envie souvent les personnes qui n’ont qu’une ou deux passions, qui s’y consacrent et n’ont pas à choisir… ces gens existent-ils vraiment 

Cette grande distance entre envies et réalité temporelle s’explique également par ma difficulté à dire « non ». Pas parce que je ne sais pas dire « non », mais parce que je n’ai pas de bonnes raisons de dire « non ». Je n’ai pas beaucoup d’impératifs quotidiens. Parfois, je me dis qu’un travail à honorer, des cours à potasser, des enfants à m’occuper, toutes ces raisons inflexibles me soutiendraient beaucoup dans l’expression de mes limites. Dans mes « non ».
Il est plus simple de dire « Non je ne peux pas venir au ciné avec toi, je dois réviser mon partiel » plutôt que
« Non je ne veux pas venir, je suis fatiguée ce soir », ou même et peut-être surtout « Non je ne veux pas venir, j’aimerais passer la soirée seule avec moi, je ne sais pas encore ce que je vais faire, je veux simplement être seule ». Pas d’alibi. Pas de raison valable. Seulement flottant dans l’air la sensation étrange d’avoir fait un choix différent de ce que la logique/société/bonne éducation voudrait : « Je peux concrètement, mais je ne veux pas intérieurement ». En outre crispé·e à l’idée que l’autre se sente rejeté·e ou blessé·e suite à notre refus. Ce « Je ne veux pas » est formidablement compliqué à assumer. De soi à l’autre, et aussi de soi à soi.

Pour exprimer un « Non je ne veux pas » alors qu’en soit on pourrait, il faudrait tout d’abord sentir en soi ce
« non ». Il faudrait passer au-delà de toutes ces pensées très convaincantes qui nous démontrent qu’on ne peut décemment pas refuser cette proposition : on n’a pas d’obligation, pas d’impératif, donc on y va. C’est comme ça. Non négociable.
Il faudrait écouter ce que notre ventre nous dit, ce qui vibre, distinguer ce qui nous appelle maintenant de ce qui peut attendre. Il faudrait avoir le temps de prendre le temps de sentir comment on souhaite faire usage de notre temps. « Je peux, ok, mais est-ce que je veux ? »
« Non. »

Une fois que la sensation est identifiée, que le « non » est reconnu, l’étape suivante est d’accorder de la valeur à ce « non », de le trouver justifié, de décider de le respecter. Et ce sans raison valable apparente, sans justification évidente, sans explication rationnelle :
« Je peux mais je ne veux pas. »
Ça veut dire quoi, en fait, « pouvoir » ? Est-ce que si je peux matériellement mais pas émotionnellement je peux vraiment ? Est-ce que si j’ai les capacités physiques mais pas l’espace mental je peux réellement ? Est-ce que si j’ai la force mais pas la patience ou l’élan je peux véritablement ? Pourquoi les paramètres mesurables extérieurement apparaissent-ils plus valables que ceux que je vis intérieurement ?
La volonté devient indissociable de la capacité.
« Je ne veux pas intérieurement » devient « Je ne peux pas intérieurement ».
Cela donnerait : « Non je ne peux pas venir, j’aimerais passer la soirée seule avec moi, je ne sais pas encore ce que je vais faire, je veux simplement être seule ». La formulation est parfaite comme cela.

Le temps file. Personnellement, je ne parviens pas à faire tout ce que je souhaiterais faire au quotidien. Principalement pour les raisons que je viens d’exposer.
Je me souhaite de réussir à me recentrer chaque jour (de 9h à 17h ?) sur mes projets printaniers, d’y plonger tête et cœur les premiers, de les savourer pleinement, et de laisser virevolter sans m’y accrocher les multiples pensées d’anticipation qui tentent de me tirer hors du présent.
Je me souhaite de ralentir avant de prendre une décision, de me laisser le temps de sentir mon besoin sur le moment, dans mes tripes.
Je me souhaite d’être capable de trouver ce besoin valable, puis de l’exprimer en même temps que mon refus.
Finalement, je me souhaite de parvenir à me choisir. À chaque instant.
Ou au moins d’essayer.

Et je vous souhaite tout pareil.

Bye,

Alexe