[À lire en écoutant Broken Sleep d’Agnès Obel] Salut bonjour ! Je suis contente de prendre à nouveau le temps d’écrire ici, après un été bien rempli, doux malgré la canicule, et très joyeux. Comment se passe votre transition vers l’automne ? Je vous espère au mieux. J’ai envie de vous parler d’un fonctionnement, que j’ai et qu’on est sûrement plein à avoir. Ce truc qui fait qu’on ne passe pas à l’étape suivante tant que celle-ci n’est pas terminée à 100%, vous voyez ? Qui veut qu’on attende que tout soit nickel avant d’avancer. Je veux dire, complètement nickel. De bout en bout. Ce phénomène qui nécessite que les bases soient claires, définies et achevées pour prétendre pouvoir aller un peu plus loin. Que tout soit rentré dans l’ordre, aucun détail négligé, pour continuer. Cette linéarité. Étape après étape. Comme ranger impeccablement son bureau avant de se lancer dans un travail. Comme tout savoir d’un sujet avant d’oser en parler. Comme clore nettement une relation avant d’en entamer une nouvelle. Tourner une page avant d’en écrire une autre. Des frontières nettes, presque hermétiques. Cette perfection préalable à tout. Illusoire. C’est une sorte de rigidité intérieure. Pour se rassurer, mettre les choses à leur place, dans leur petite case. Pour voir clair soi-disant. Savoir où on en est pour savoir où on va. Oui mais qui peut se targuer de mener sa vie comme on monte un escalier, une marche après l’autre, nettement et sans détour, sans trébuchement, sans loupé, sans retour. Sans salissure, claudication, foulure, boitement. Sans chute. Voit-on à tous les coups les contours de ces marches ? Quand elle s’arrête et quand commence la suivante ? Quand il faut lever le pied, passer à autre chose, monter d’une marche. Peut-on prétendre ne jamais être dans la pénombre ? Le temps est un luxe. Même si on l’avait, même si on avait un lieu à soi, un lit, à manger, à boire et tout le temps du monde, nous n’aurions pas la lucidité nécessaire pour passer sans encombre et sans erreur d’une marche à l’autre, systématiquement. Est-ce grave ? Cet horizon inaccessible est bien souvent, me concernant, un prétexte quand je n’ose pas. Une sorte de réflexe mis en place depuis longtemps, entretenu tout au long de mon existence, demeurant invisible à ma conscience. Tu n’as pas fermé le cycle précédent, tu ne peux pas en ouvrir un nouveau. Ça inhibe, ça ralentit, ça bloque. Ça paralyse. Je prône le bienfait des frontières brouillées. Je prône le droit aux allers-retours. Au simultané. Je prône la beauté du brouillard et de la confusion. Je prône la valorisation de la maladresse, des tentatives, des pages tournées à moitié. On peut agir en étant médiocre. Ne pas attendre que tout soit parfait pour commencer quelque chose. Se délester de nos exigences, au moins un peu. Cet été déjà, et depuis que je suis rentrée dans le coin de Besançon, il y a quelques semaines, je dors dans mon petit camion. Je n’ai pas d’endroit où se trouvent toutes mes affaires réunies, pas de cuisine pour me préparer à manger à l’abri du froid et de la pluie, pas de salle de bain où m’occuper de moi longuement, pas de bureau devant lequel m’assoir et travailler, pas de canapé au creux duquel passer des heures à lire, regarder un film, travailler encore. Mes possibilités sont réduites. L’indulgence est obligatoire. Par la force des choses. Habiter nulle part et partout m’invite (me contraint ?) à me laisser porter, tant une multitude d’éléments ne dépendent pas de moi. Être sans domicile fixe réduit mon confort, et ce temps luxueux. Je ne m’y accroche plus. Je lâche. Je ne possède plus grand-chose, je ne contrôle plus vraiment. Ma tranquillité grandit à mesure que mes possessions diminuent. J’ai moins à me préoccuper. Tout est plus brouillon, plus flou. Je mène de front une multitude d’activités, je passe de l’une à l’autre sans scrupule. Je saute une marche, redescends de trois, en enjambe deux, avant de me lancer dans un autre escalier, le temps de quelques heures. J’avance en tâtonnant, hésitante ou confiante. Plus rien n’est parfait (comme si quoique ce soit l’avait déjà été…). Peut-être suis-je plus fatiguée, moins à l’écoute de mon rythme ? Peut-être que c’est le challenge ? Me laisser guider par la météo, les événements, les propositions, tout en m’aménageant des moments rien qu’à moi, pour sentir mes besoins, écouter comment je vais. Le retour au flou ne doit pas s’accompagner de l’oubli de soi. Je ne m’oublierai pas. À dans un mois, Alexe |