Le 8 mars, je suis montée à Paris. Évidemment. Je n’y étais pas pour le 25 novembre, pour la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes (bigre quelle expression horrible !), et ça avait l’air fou. Alors le 8 mars, j’y tenais !
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. Le 28 février 1909, Theresa Serber Malkiel, militante syndicale, suffragiste et éducatrice américaine, ainsi que le Parti socialiste américain, appellent à manifester pour le droit de vote des femmes. C’est le National Woman’s Day.
. En août 1910, lors de la deuxième Conférence internationale des femmes socialistes à Copenhague, Clara Zetkin, enseignante, journaliste et femme politique marxiste allemande, impulse l’adoption d’une Journée internationale des femmes, notamment pour promouvoir la lutte pour le droit de vote des femmes, le droit au travail et la fin des discriminations au travail. Journée approuvée à l’unanimité lors d’une conférence réunissant 100 femmes socialistes provenant de 17 pays.
Elle est célébrée pour la première fois le 19 mars 1911 dans plusieurs pays d’Europe (pas en France !), puis fin février ou début mars les années suivantes. Elle continue de l’être le dernier dimanche de février aux États-Unis.
. En 1914, des femmes socialistes manifestent à Berlin pour obtenir le droit de vote. C’est un 8 mars.
. En 1917, des ouvrières de Petrograd font grève le dernier dimanche de février, réclamant du pain et la paix. C’est le début de la Révolution russe. Ce 23 février du calendrier julien correspond au 8 mars du calendrier grégorien.
. En 1921, en guise de commémoration, le président russe Lénine, sur proposition d’une « camarade bulgare » (mais qui ?), consacre la date du 8 mars comme la Journée internationale des femmes.
. Les années suivantes, cette journée est célébrée dans tout le bloc socialiste, et sporadiquement aux États-Unis.
. À partir de la fin des années 1960, les militantes féministes se saisissent de cette date.
. En 1977, l’Organisation des Nations Unies (ONU) officialise la date du 8 mars comme la Journée des Nations unies pour les droits des femmes et la paix internationale, enjoignant à ses pays membres de la célébrer.
. Le 8 mars 1982, à l’initiative du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) et d’Yvette Roudy, ministre des droits des femmes, le gouvernement socialiste de François Mitterrand officialise cette journée en France.
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Donc, le 8 mars, je suis montée à Paris. C’est un mardi, des gens travaillent, d’autres se libèrent.
Ce n’est pas une fête, ce n’est pas le jour des roses, des réductions pour un aspirateur ou pour des sous-vêtements sexy, ce n’est pas la journée de la femme. C’est une journée de lutte. Une lutte internationale pour les droits des femmes. Comme son histoire l’indique. Comme son nom l’indique.
Je fais partie du cortège Nous Toutes car je vais participer au die in, un peu plus tard. On reste ensemble. Le soleil est haut, je suis en débardeur pour la première fois de l’année.
Départ 14h. On marche. On entonne des chants, on lève le poing, on hurle. On vit des moments particulièrement puissants, comme la traversée de la place de la République en chantant à l’unisson « So so solidarité avec les femmes du monde entier ! » sous des centaines d’yeux écarquillés et de sourires. J’adore ces épisodes de profonde reliance avec les personnes qui m’entourent. Vous avez déjà vécu cela ? Quand des milliers d’individus font la même chose, au même endroit et en même temps. Cette sensation de faire partie de quelque chose de beaucoup plus grand que soit, d’être un fragment d’une masse gigantesque et puissante, sans qui on n’existerait pas, et qui sans nous n’existerait pas. Le cœur qui se soulève d’émotion, la respiration qui s’ouvre, les larmes qui perlent au creux des ridules.
On marche, on chante, on s’arrête, on s’agenouille, on écoute, on se relève, on hurle, on marche. Encore et encore.
On a dû arriver au cimetière du Père Lachaise vers 16h30-17h. Léane (du compte instagram Mécréantes) et une autre personne font un discours poignant sur cette fameuse grande cause du quinquennat (hum hum) et les 622 (au moins) victimes de féminicides. Iels énoncent ensuite que 143 femmes sont mortes en 2017 sous les coups d’un homme : toutes les personnes (pas d’homme cisgenre) tenant une feuille portant le nom de l’une de ces victimes s’allongent (dont moi).
2018 : 123 personnes s’allongent.
2019 : 153 personnes s’allongent.
2020 : 102 personnes s’allongent.
2021 : 113 personnes s’allongent.
2022 : 12 personnes s’allongent (54 féminicides quand je publie cet article, le 23 mai).
Nous sommes 622, étendu·es au sol dans ce cercle formé pas l’entrée du cimetière d’un côté et par les gens qui nous regardent de l’autre. Des fumigènes violets colorent l’atmosphère. Le silence est lourd d’émotion, de souvenirs et de chagrin. Au-dessus de moi je vois le ciel bleu, les branches d’un arbre et deux filles en larmes. Les minutes passent. Les bruits de la ville ne parviennent pas à troubler la solennelle bulle de femmage qui s’est créée en son cœur.
Cette photo n’est pas de moi. Merci à son auteurice.
Puis une organisatrice brise le silence et s’écrie « Pas une de plus ! » D’un seul mouvement nous nous levons, brandissant le poing gauche et hurlons en chœur « Pas une de plus ! Pas une de plus ! ». On crie longtemps, nos yeux regardent droit devant et lancent des éclairs, on est en colère.
Et à nouveau on se tait, le poing levé, le visage fermé. Déterminé. Les minutes sont longues, l’atmosphère est dense, notre silence hurle notre peine et notre rage. Pas une de plus.
La marche repart. La fille que je regarde depuis le début, avec son bonnet rouge et son menton fièrement levé lorsqu’elle chante, cette fille se retourne vers moi, je croise son regard embué. Je lui ouvre les bras et on se serre fort. C’est trop d’émotions pour deux personnes seules, il faut alléger.
Je marche encore quelques minutes. Et puis je m’éloigne. Le cœur qui déborde de joie, de force, de sentiments qui s’emmêlent, de puissance, de tristesse, de beauté, d’espoir, de confiance et puis d’appartenance, de communion, quelque chose comme ça. De sororité, d’adelphité. On est ensemble. En écrivant ces quelques lignes, mon cœur à nouveau s’emplit.